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Le livre de Tran 

 

 

CHAPITRE I : Où l’on rencontre Tran




Tran ? Ce n’était qu’un nom de famille mais on l’appelait comme ça dans les rues d’Ho-Chi-Minh-Ville au Vietnam. Il essayait d’y vivre, orphelin de guerre, se contentant de vendre aux touristes de passage, des cartes postales, des chewing-gums ou des cigarettes, qu’il avait glanés au cours de ses multiples déambulations dans cette ville de tous les bruits.

 

  Cette nuit là, Tran ne savait pas, une fois encore, où il allait se reposer. Comme toujours il allait penser à ce scooter et sa carriole pour transporter à travers sa ville des clients. Devenir cyclo-pousse, c’était son rêve ! Mais, pour le moment, il lui fallait trouver un endroit un peu calme afin d’essayer de dormir.  La gare, où il avait souvent trouvé refuge, n’était la nuit qu’un immense dortoir sale aux bruits continus et malsains. Tran s’était juré de ne jamais y retourner depuis le soir où il avait attrapé des poux dont il n’avait jamais pu se débarrasser. Et maintenant cette compagnie désagréable se multipliait dans ses cheveux noirs et raides coupés au bol.

   Il était déjà une heure du matin et, le jeune garçon ne trouvait toujours pas le lieu de son repos.   Dans l’ancien quartier chinois de Cholon dans la Duong1 Tan Da, plus silencieuse mais dans laquelle régnait une odeur de fritures de poissons et d’eau saumâtre du canal proche, Tran trouva entre deux maisonnées, un coin calme et doux. Il s’y recroquevilla en tirant sur son corps menu sa vieille natte, sa seule richesse.

    La nuit était lourde, d’une chaleur épaisse que la mousson de cinq heures n’avait qu’à peine dissipée. Et maintenant, l’évaporation de cette eau formait une chape  étouffante au ras du sol.



 

         Dans ce manteau d’étuve, Tran trouva le sommeil rapidement, épuisé par sa journée folle dans les rues de cette cité aux accents d’une nouvelle modernité.

   Mais sa nuit ne fut pas calme pour autant : ces rêves, qui ressemblaient plus à des cauchemars, l’agitaient dans des sursauts inhumains. Il fit d’ailleurs un songe étrange venu d’on ne sait où, peut-être du fond des âges de cette terre peuplées d’âmes errantes… :

   Le long d’une de ses mèches rebelles qui lui tombait sur les yeux, il sentit glisser comme sur un abrupt toboggan, une bestiole agitée. L’enfant savait que c’était un de ces vilains poux dont il avait assez car ils lui pourrissaient la vie par des démangeaisons incessantes. Mais celui-ci brillait d’un éclat étincelant, presque aveuglant il semblait recouvert d’une parure faite d’or. La petite bête grimpa sur le sourcil droit de l’enfant et de là, se laissa choir dans le creux de son oreille.

  Dans son sommeil, Tran hurla de peur et eut un geste maladroit de la main qui voulait sans doute chasser ce démon de son corps. Mais la bestiole se mit à chantonner sur un air de cithare :

 

«  Petit, tout petit homme

Pas plus haut que trois pommes

Tu veux très peu de chose,

Changer ta vie morose

Par une simple motocyclette

Pétaradante et chouette…

Cours vite vers le Nord

Tu y trouveras l’or

Dont je suis jusqu’au cœur

Recouvert pour ton bonheur !

                        Quant à mes frères poux

Imbéciles et fous

Vivant dans ta tignasse

Là, je t’en débarrasse ! » 

 

    Cet étrange message calma le petit Tran dans sa nuit laborieuse peuplée de tous les maux de sa vie éveillée, qui n’était qu’un long chemin pour rester là dans ce monde cruel que ses aînés avaient construit aux prix d’un ineffable sacrifice. Il se retourna encore deux ou trois fois sur lui-même et se rendormit la tête pleine de rêves dorés que l’étrange messager lui avait fait espérer. 




 

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